Présentation
Elles œuvrent dans l’entre deux, au croisement des langages. Cela depuis leurs premières performances à double visage, El como quieres (1997) et Personne ne dort (1998), emblématiques d’un compagnonnage aux projets foisonnants et la création de leur compagnie Toujours après minuit. Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna ont d’emblée choisi d’investir la scène dans des espaces intermédiaires. Les territoires qu’elles défrichent pas à pas, entre théâtre, danse et musique, sont autant de paysages sensibles qui émanent des corps en mouvement.
Façonnés entre gestes et mots, glissant du français à l’espagnol ou au catalan, leurs spectacles cultivent les décalages de sens, les associations incongrues.
Une façon nomade et plurielle de travailler, qui revient sans cesse puiser dans ce gisement d’intelligence et de fantaisie qui surgit du dessous des choses, du non-dit des corps. De l’intime à l’étranger, le propos de leurs pièces fait entendre sur scène la part de l’autre, son droit de cité. Une manière particulière de féconder le sens, de lui donner chair à travers le rire et l’émotion, l’énigme et l’allégorie. Cette topographie artistique qu’elles qualifient de théâtre dansé, est issue « d’un travail profond, éprouvant parfois, au service d’un “mieux dire utopique” ».
Irène Filiberti
L’univers artistique, l’identité et l’expérience de la compagnie Toujours après minuit résultent d’un long compagnonnage. Nous menons ensemble un travail de recherche théâtrale et chorégraphique, en tant que directrices artistiques de la compagnie Toujours après minuit depuis 1997.
Metteuses en scène, chorégraphes, autrices, dramaturges, interprètes, … ces métiers nous les exerçons, ils forment un tout, et surtout ils sont un mode de vie. La représentation théâtrale est la preuve physique de notre existence, mais c’est au quotidien que nous travaillons. Oui, c’est un mode de vie. Nous nous accordons avec tous les artistes, les technicien.ne.s, ainsi que les membres du bureau de production qui nous accompagnent. Chaque saison nous élaborons une création, tournons les pièces du répertoire de la compagnie, et fabriquons un travail de proximité avec tous les publics : amateurs, scolaires, professionnels.
Nous parlons plusieurs langues quotidiennement (français, espagnol, catalan). Il nous est donc possible de choisir la langue dans laquelle, ce jour-là, ces mots-là expriment le mieux l’idée de l’instant. De la même manière, nous possédons plusieurs techniques et langages (théâtre, danse, musique). Pour nous il s’agit de moyens d’expression que nous utilisons sans préjugés, en toute liberté. Comme nos deux cultures coexistent pleinement, ces différents langages sont en complémentarité, en harmonie.
Les langues font partie de la vie de tous les jours. Elles circulent, atterrissent partout et se transforment sans cesse. Entendre une autre langue, c’est déjà un voyage en soi, un changement de climat, de saison, cela vous plante un décor, vous oblige à « comprendre » autrement, car il y a le sens des mots et le sens de la musique des mots.
Les langages sont multiples et évoluent perpétuellement. Pour nous, il ne s’agit pas d’un alliage savant de disciplines existantes, mais de formes théâtrales qui s’inventent au fur et à mesure d’une recherche artistique vivante, en écho aux tumultes du monde.
Les générations, comme les langues et les langages, se mêlent au sein de nos spectacles. C’est un choix, nous sommes d’une manière générale contre les divisions, les segments, toute forme de cloisonnement. Car, ces cloisonnements simplifient, réduisent le sens, souvent au profit d’une communication qui doit être la plus efficace possible, dans un monde qui va vite et qui regorge d’informations… Hélas, cette efficacité peut être non seulement inadéquate dès lors que les mots sont réduits à l’état de slogan ; mais de plus, à force de raccourcis, elle tue la diversité des multiples paroles artistiques existantes et qui correspondent à l’état du monde dans sa diversité infinie.
Et puis, nous constatons que « l’émergence » n’est pas systématiquement liée à l’âge. Nous n’opposons jamais le jeune et le vieux, le populaire et le savant, le riche et le pauvre. D’ailleurs nous ne fabriquons pas non plus un théâtre « spécial » pour les quartiers dits difficiles, et un autre pour les grandes salles parisiennes. Nous faisons le même théâtre pour tous.tes et partout.
L’existence de la compagnie est le fruit de notre expérience, de la convergence de nos deux cultures, espagnole et française, de nos deux points de vue, proches ou éloignés, mais toujours profondément complémentaires. C’est aussi et surtout l’expression de notre engagement artistique, de notre désir profond d’agir.
Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna